Editorial
Le présent numéro poursuit l’exploration des multiples interprétations de la visée cosmopolitique et des phénomènes désignés comme relevant du « développement » dans les contextes contemporains.
Alain Policar souligne que le cosmopolitisme ne peut se concevoir pratiquement sans suspendre le sentiment d’appartenance ou d’ascendance communautaires liés à l’histoire, de même que les intérêts et valeurs qui s’y attachent. La raison énonce le fait originaire d’appartenir à l’espèce humaine, lequel sous-tend une éthique qui suppose une solidarité extracommunautaire et extranationale sans laquelle aucun droit cosmopolitique garantissant les droit individuels ne peut exister.
François Rastier analyse la dilution de la notion classique de culture dans les interprétations multiples et fragmentées qui caractérisent de nombreux courants sociologiques, philosophiques ou artistiques. Les études post-coloniales, notamment, en réduisent la portée à leurs origines nationales ou ethniques, oubliant que le colonialisme ou l’esclavagisme ne se limitent pas au monde occidental. Plus généralement, l’obsession identitaire est de celles qui fragilisent toute visée cosmopolitique ou simplement humaine.
Melik Özden s’interroge sur la question du développement limité à un modèle unique de type néolibéral qui menace sa pérennité, fragilise toute forme d’aide autant que les droits applicables à l’humanité dans son ensemble. Ceux-ci postulent en effet la participation et la contribution de tous les individus et toutes les populations aux divers facteurs d’un développement ainsi conçu – économiques, sociaux, culturels et politiques.
François Misser centre sur la culture du cacao les problèmes économiques de l’Afrique occidentale dus en particulier à l’évolution du climat, au déboisement des terres, au mode de gouvernement et aux activités illégales telles que l’orpaillage. Le manque d’investissements qui s’ensuit fragilise l’économie, la production locale de cacao étant par ailleurs concurrencée par des produits de qualité inférieure venus d’ailleurs.
Hubert Landier souligne l’insuffisance des modes de gestion des entreprises, due notamment à un objectif utilitariste qui ne peut répondre à certaines des situations humaines auxquelles elles sont confrontées. Les deux cas cités illustrent la nécessité de recourir à des savoirs qui diffèrent de la doxa dominante des écoles de gestion ou la contredisent, afin d’y associer une forme d’empathie qui résolve les conflits latents en s’ouvrant à une appréciation globale et plus humaine des situations rencontrées.
Christian Tremblay s’interroge sur la baisse des connaissances et compétences scolaires dans les matières littéraires, scientifiques et mathématiques en Occident et souligne les effets éducatifs du plurilinguisme, autant que sa portée sociale. Les effets économiques et sociales négatifs peuvent être dues au contact excessif avec les écrans ou à la fréquentation des réseaux sociaux, mais la compréhension du monde dépend aussi du recentrement sur la langue, les langues et les cultures qu’elles expriment.
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Dans la rubrique « Débats et documents », Nandita Bajaj et Kirsten Stade rappellent que l’absence de planification familiale et de contrôle des naissances a des effets négatifs sur les femmes, mais aussi sur les enfants. Les normes pronatalistes des sociétés patriarcales donnent libre cours à la croissance démographique, à une fécondité élevée et à la violation des droits de l’enfant, ce qui affaiblit toute aide au développement.
Vincent Lemire revient sur la réponse israélienne à la tragédie du 7 octobre 2023, qui vit le massacre de plus de 1 100 Israéliens, dont près de 800 civils parmi lesquels un tiers de femmes et d’enfants, et se traduit par un autre massacre, celui de Palestiniens, qui selon l’ONU se monta pendant les seuls quatre premiers mois de la guerre à plus d’enfants tués que pendant ces quatre dernières années dans l’ensemble des conflits armés à travers le monde.
Paul Ghils