Présentation

Paul GHILS

Le présent numéro comprend quelques articles relatifs à la notion d’anthropocène, qui désigne les effets de plus en plus puissants des activités humaines sur le milieu terrestre. Le phénomène est tel que les théoriciens des sciences dures ont formulé l’hypothèse d’une nouvelle ère géologique[…] . De leur côté, les praticiens des sciences humaines pensent que ces interactions pourraient rendre l’homme conscient de l’unité indissociable de la nature et de la culture, traditionnellement considérées, en Occident tout au moins, comme des réalités distinctes et disjointes.

Michel Adam reprend cette même interrogation, entre certitude et incertitude, annonce de la catastrophe et espoir d’un sursaut de l’humanité. Le « patrimoine de l’humanité » est compris ici comme l’élargissement du concept de l’Unesco aux possibilités d’un développement durable fondé sur les ressources naturelles et les artefacts humains, aujourd’hui menacé par la rationalité cupide du brevetage du vivant et l’oubli des savoirs accumulés par l’histoire humaine.

En tant que géologiste, Jan Zalasiewicz présente les données scientifiques actuellement disponibles pour expliquer les transformations anthropiques et leur effet sur le climat de la Terre, les étendues continentales et océaniques et la biosphère. Le débat actuel relatif à l’échelle, la magnitude et les enjeux des transformations du milieu lui fait conclure qu’une limite a été franchie entre deux ères au cours des deux derniers siècles.

Pierre Guenancia esquisse les traits d’un cosmopolitanisme philosophique qui recouvre le « soi » de chaque individu comme de chaque collectivité replacés dans le contexte unifié de l’humanité et de l’univers. Deux types de citoyenneté s’en dégagent, qui ne s’excluent pas mutuellement mais participant d’une dialectique subtile entre le tout du monde, rebelled à toute identification, et les identités propres aux polities particulières.

La question cosmopolite apparaît sous un jour particulier dans la relation entre l’art et le science, dont traite Patrizio Destrezza en prenant comme argument la pratique chorégraphique. Le rapport ente ces deux dimensions prend une figure cosmopolite au travers de la multiplicité des genres culturels et des expressions chorégraphiques concrètes, au gré des contextes et des civilisations.

Dans sa reprise du thème cosmopolitique, David Held précise le contexte actuel, qui déborde les critères définitoires proposés dans des analyses bien connues, tels que le mode de mondialisation dynamique fondé sur l’extension, la densité et le rythme accéléré des interconnections. Le concept actuel est celui d’une évolution en « mille feuilles » dont les composantes recouvrent autant le brevetage du vivant et l’habitat planétaire que l’épuisement des ressources, les échanges commerciaux, l’évolution du climat, la sécurité dans le monde et la démocratie internationale parmi des sociétés et des communautés qui s’entrecroisent.

La question récurrente de l’écologie de la planète fait l’objet de deux études. Marc Essis engage un travail de recherche normative qui se penche sur cet aspect majeur que représente l’éthique de la problématique écologique globale dans le cadre des relations internationales, entre les positions antagoniques que sont le cosmopolitisme et le communautarisme. Il se propose de vérifier sur le cas allemand l’intuition selon laquelle les blocages des négociations internationales sur le climat s’expliquent essentiellement par les ancrages idéologiques des partis politiques.

Bruno Kestermont analyse quant à lui, au départ de critères normatifs, ce qui distingue les variétés « faible » et « forte » d’un développement viable. Si la première peut être réduite à un paramètre unique, la possibilité de la seconde suppose un équilibre complexe et multidimensionnel entre facteurs interdépendants.

Sur un plan plus régional, Landry Signé et Sévérin Tchetchoua Tchokonte examinent la politique d’un ensemble de pays face à la boulimie énergétique de la Chine et de sa stratégie africaine dans un contexte mondial où jouent les facteurs politiques, économiques, diplomatiques, militaires et culturels.

Jan Berting se demande comment définir l’Europe en l’absence d’un hymne propre et en présence d’hymnes nationaux d’où le thème européen est tout aussi absent. Cette fragmentation révèle la faiblesse de l’attachement des populations à l’identité européenne, qui contraste avec l’attitude positive des pays fondateurs de l’UE après la Seconde Guerre mondiale.

On retrouvera dans la réactualisation de la guerre sainte dite du “jihad” les critères appliqués par Patricia Krone dans un article précédent – delinéation des facteurs politique, religieux et culturel des débuts de l’islam, replacés dans le contexte actuel. Après avoir déterminé les principes originels, elle analyse leur pertinence dans le monde contemporain.

A propos de l'auteur :

Docteur en philosophie, linguiste et internationaliste, professeur émérite à l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes, Université libre de Bruxelles, a enseigné en Algérie, au Gabon, au Mexique, en Iran et en Belgique. Ancien rédacteur d’Associations transnationales de l’Union des associations internationales (UAI), il a créé la revue de cosmopolitique Cosmopolis en 2007 et publié de nombreuses études à l’intersection de la philosophie, des sciences du langage et des sciences politiques. Il dirige la banque de données terminologiques et notionnaires portant sur divers sous-domaines des relations internationales hébergée par l’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP).